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Les enfants talibés au Sénégal


"Chaque matin, avant que le soleil ne s'élève trop haut, nous étions envoyés dans les rues poussiéreuses de Dakar. Le bois de ma tablette coranique était usé, mes genoux écorchés par tant d'heures passées à réciter sous l'œil sévère du marabout. Mais ce n'était pas le plus dur. Ce qui m'oppressait, c'était la faim, la peur, le poids de la calebasse vide que je devais remplir en mendiant. ‘Si tu ne rapportes pas assez, tu seras puni', disait-on. Alors je marchais, quémandais, baissais les yeux devant les passants indifférents. Le soir venu, je revenais, mes mains tremblantes, espérant que mon obole suffise à éviter le bâton." Cet extrait de Petit Bodiel de Wilfried N'Sondé relate le quotidien de milliers d'enfants talibés au Sénégal

 

Les enfants talibés, en majorité des garçons âgés de 4 à 15 ans, sont confiés par leurs proches à des maîtres appelés marabouts au sein d’écoles coraniques, les daaras, pour leur éducation religieuse. Pour de nombreuses familles, l’école coranique est un passage obligatoire pour l’éducation des jeunes musulmans sénégalais. 

 

Le nombre d’enfants talibés dans le pays est difficile à quantifier, car il n’existe pas d’études au niveau national permettant de les recenser. Néanmoins, l’ONG Global Solidarity Initiative a estimé en 2018 leur nombre à environ 200 000 rien qu’à Dakar, dont au moins 25 % pratiqueraient la mendicité forcée. 

 

Cette pratique repose sur une tradition profondément ancrée dans les sociétés musulmanes. Dans sa forme originelle, le système des daaras vise à enseigner les préceptes de l’Islam, notamment la mémorisation du Coran. Cependant, pour de nombreux enfants talibés, cette pratique se transforme en une existence de souffrance et d’exploitation. Les marabouts envoient les enfants mendier dans les rues à leur place pour subvenir à leurs besoins et à ceux de l’école coranique. Ces enfants passent ainsi leurs journées à collecter de l’argent, du riz ou du sucre, au lieu de recevoir une éducation complète ou de vivre une enfance classique. 

 

Il est courant que ces enfants soient soumis à des conditions de vie précaires. Beaucoup d’entre eux dorment dans des lieux insalubres, sont mal nourris, et parfois victimes de violences physiques lorsqu'ils ne rapportent pas assez d'argent à leurs maîtres. Les rues de grandes villes comme Dakar ou Saint-Louis sont remplies de ces jeunes garçons en haillons, tendant des boîtes de conserve pour mendier. 

 

 

Dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, pourtant réputé pour sa stabilité et son développement supérieur à la moyenne de la région, la situation des enfants talibés soulève un double enjeu de dignité humaine et de protection de l'enfance. 

 

La situation des enfants talibés constitue une violation flagrante de plusieurs droits fondamentaux consacrés par des textes internationaux, tels que la Convention relative aux droits de l’enfant (ratifiée par le Sénégal en 1990). L’article 28 garantit le droit à l’éducation, tandis que l’article 19 exige que les enfants soient protégés de toute forme de violence et d’exploitation. Malgré ces engagements, le phénomène persiste, alimenté par une combinaison de facteurs culturels, économiques et sociaux. La pauvreté des familles rurales pousse souvent les parents à confier leurs enfants à des daaras en espérant qu’ils y recevront une meilleure éducation, alors que l’État peine à encadrer et à réformer ce système traditionnel. 

 

Face à ce problème, des efforts ont été entrepris. Des ONG locales et internationales, telles que Human Rights Watch et La Maison de la Gare, œuvrent pour offrir un soutien aux talibés et sensibiliser la population. Parallèlement, le gouvernement sénégalais a lancé des initiatives visant à moderniser les daaras et à interdire la mendicité des enfants, notamment avec une proposition de loi parue en 2005 qui condamne cette pratique. Cependant, l’application de ces lois reste limitée, car souvent freinée par une absence de volonté politique, un manque de ressources, mais surtout la crainte de heurter des traditions religieuses profondément enracinées.

 

La question des enfants talibés n’est pas seulement un défi pour le Sénégal, mais un test de son engagement envers les droits de l’Homme et le bien-être de ses enfants. Elle appelle à une mobilisation collective des pouvoirs publics, des leaders religieux, des parents et de la société civile. Il devrait être envisagé de trouver un équilibre entre respect des croyances et protection des droits fondamentaux, pour que chaque enfant puisse grandir dans la dignité et l’espoir.



 
 
 

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