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L’esprit commerçant sénégalais



Le Sénégal noue des liens particuliers avec l’activité commerciale, qui transcendent le simple échange économique. L'esprit commerçant sénégalais dépasse largement l'idée simple de vendre ou d'acheter.


L’activité commerciale peut être analysée comme l’extension de la teranga, cette hospitalité et ouverture propre au peuple sénégalais. Cette philosophie se reflète dans la manière dont les commerçants interagissent avec leurs clients. Un commerçant sénégalais ne se contente pas de vendre un produit mais cherche souvent à établir une relation. À titre d’exemple, une pratique courante sur certains marchés locaux est d’offrir du thé, ataya, à un client avant même de parler d’argent. Cela symbolise une volonté de créer un lien humain avant de conclure une transaction. 


Dans l’échange, l’humain occupe toujours une place prépondérante. Au Sénégal, négocier n’est pas simplement une pratique commerciale : c’est une forme de dialogue et un rituel respecté. La négociation du prix, qui devient parfois théâtrale sur les marchés, n’est pas perçue comme un affront mais plutôt comme une danse où les deux parties recherchent un équilibre. Le commerçant cherche en effet à satisfaire son client tout en préservant sa dignité et sa subsistance. Pour cela, il n’hésite pas à user de la ruse, cherchant à convaincre l'autre partie qu'elle obtient le meilleur accord, même s’il protège avant tout ses propres intérêts économiques. D’ailleurs, Léopold Sédar Senghor lui-même, premier président de la République du Sénégal et écrivain, a fait une véritable éloge de la ruse dans La belle histoire de Leuk le lièvre. Dans cet ouvrage, Leuk use de son intelligence et de sa roublardise pour soustraire ce qu’il veut à tous les animaux de la savane, même ceux bien plus forts que lui. 


Dans un Sénégal véritable mosaïque d’ethnies, le commerce est aussi perçu comme un espace de partage. Les marchés et commerces deviennent des lieux où se transmettent des valeurs et des savoir-faire artisanaux, renforçant ainsi le patrimoine culturel du pays. Sur les marchés traditionnels comme celui de Sandaga à Dakar, les gens se rassemblent pour échanger non seulement des marchandises, mais aussi des idées ou des expériences.


Bien que le profit ait toujours été une motivation, l’éthique est pendant longtemps restée un pilier fondamental de l’esprit commerçant sénégalais. La réputation est un enjeu primordial pour les marchands, qui s’efforcent alors de cultiver leur image de fiabilité. Le proverbe local « ma waxone-waxeet », « j’avais dit, je me dédis » en wolof, récemment remis au goût du jour par Macky Sall, reflète l’importance de tenir ses engagements dans le domaine politique. Cet impératif est directement transposable à la sphère économique, où il devient même une sorte de règle d’or.


Le commerce est également progressivement devenu un moyen d’entamer sa propre démarche introspective. Sur le plan religieux, la confrérie des Mourides ne se contente pas de promouvoir le commerce comme moyen de subsistance, mais elle y associe une éthique du travail. Son  fondateur et théologien, Cheikh Ahmadou Bamba, valorise le travail comme acte spirituel permettant de purifier son âme et d’honorer Dieu en exploitant les ressources qu’il a mis à notre disposition.


Toutefois, le Sénégal actuel semble se désintéresser de ces pratiques vertueuses et abandonner peu à peu cette vision holistique du commerce. Sabine Cessou, dans La pirogue des marchands, relate une interview avec le compositeur sénégalais Wasis Diop dans laquelle il déclare que « le Sénégal actuel ne porte qu’un seul rêve : l’argent ».


Cette vision du commerce, quasi rousseauiste, est celle que cultive le Sénégal d’aujourd’hui. Les commerçants du pays semblent peu à peu s’enliser dans la recherche perpétuelle de profit quitte à voler ou escroquer. Cette rupture sociale dans la manière de « penser l’argent » se fait au détriment de valeurs historiques comme la solidarité ou la dignité. Cela n’est pas sans rappeler la citation de l’écrivain belge Paul Carvel, « l’appât immodéré de l’argent (…) a un prix : la dignité ». 


Louis Boudon

 
 
 

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