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Abib Sy – Humans of Saint-Louis



Cette année nous avons eu la chance de rencontrer Abib Sy, professeur à Sor Daga 2, lors de nos missions au Sénégal. Il nous a même invité à participer à ses cours ! Nous avons donc pu découvrir ce que c’était de donner un cours de mathématiques à 90 élèves. Ce qui nous a particulièrement marqué, c’est que sa classe était bien plus sage qu’une classe d’une trentaine d’élèves en France ! Dans cet interview, Abib Sy nous partage sa vision de l’enseignement.


Pour commencer, peux-tu te présenter ?


Je me nomme Abib Sy. Je suis enseignant depuis 2013. J’ai été à l’université, j’ai fait une licence. J’étais sur le point de finir ma maîtrise puis j’ai passé le concours pour être professeur. Je l’ai réussi. Ensuite on m’a formé, j’étais d’abord au Fouta [région au Nord du Sénégal] en 2014, pendant une année. Ensuite je suis arrivé à Sor Daga 2.


Tu enseignes en quelle classe ?


Actuellement je suis enseignant d’une classe de CE1, mais j’ai déjà eu des classes de CE2, CM1 et CM2.


Combien d’élèves y a-t-il dans ta classe ?


90 élèves.


Que penses-tu de ces conditions de travail ?


Pour dire vrai, 90 élèves c’est beaucoup pour une classe de CE1, le nombre est pléthorique. Mais vous savez, ici, on est dans un quartier populaire, en sureffectif, et il faut faire avec. Par exemple, on a mis en place un système de double flux : certains viennent le matin et d’autres l’après-midi. On essaye de s’adapter au mieux. Mais, la conséquence c’est que les enfants manquent d’heures de cours par rapport aux élèves qui suivent les cours normalement. Nous sommes obligés de combler ce manque en faisant des rattrapages. Malheureusement les enfants ne pourront pas avoir le nombre d’heures suffisant pour pouvoir terminer le programme. C’est un malheur mais on essaye de faire avec, car un enseignant doit s’adapter à toutes les conditions. C’est ça un bon enseignant. Mais à part ça, je ne me plains pas. Je dois enseigner car les enfants veulent apprendre, alors je les invite à faire leur part du travail.


Ça se passe comment dans une classe avec autant d’élèves ?


Au début ça vous parait difficile. Par exemple, en France, c’est diamétralement opposé. Si on vous dit qu’ici nous avons des classes de 90 élèves, c’est souvent l’effectif d’une école chez vous, vous vous dites : « Comment l’enseignant peut gérer ça ? ». L’enseignant doit être maître de sa classe. Si je dis maître, ce n’est pas le dictateur. Le maître c’est quelqu’un qui comprend les élèves, qui essaye d’enseigner avec amour. C’est ce qui te permet de maîtriser ta classe. Une fois maîtrisée, ça se passe merveilleusement bien car il y a des principes, tu poses des règles et les élèves suivent ces règles. Tu crées des chefs de groupes et ensuite tu partages avec eux, tu dialogues avec eux. Alors, l’enseignant fait partie de la famille, les élèves et l’enseignant doivent être une seule famille. Et une fois que tu as mis ces règles en place, c’est fini.


Tu disais que parfois le maître prend le rôle des parents, les remplace même ?


Oui, l’élève passe plus de temps à l’école qu’à la maison. Il vient le matin et le soir. Il voit plus le maître que ses parents. Parce qu’ici vous savez on est en Afrique, les parents partent souvent chercher de quoi manger, ils travaillent beaucoup. L’enfant, s’il rentre à la maison c’est juste pour manger. Donc toi, tu as un rôle capital à jouer avec les enfants. En dehors de l’enseignement tu dois éduquer, c’est-à-dire essayer de faire comprendre à l’élève les règles de la vie, essayer de lui dire comment se comporter et essayer de lui apprendre les bonnes manières. Donc l’enseignant en dehors d’enseigner il est parent, docteur, conseiller, il est tout. Un enseignant se doit d’être quelqu’un d’averti, il doit être préparé à affronter toutes situations, y compris concernant la famille.


Tu disais aussi que ce n’est pas seulement entre les murs de l’école que tu tiens ton rôle d’enseignant, que ça te tenait à cœur d’aller au-delà des murs ?


Il y a une matière qui s’appelle extra-wall, c’est-à-dire en dehors des murs. On ne peut pas enseigner une chose sans la chose. Schématiser et dessiner ça ne suffit pas. J’essaye par exemple de leur faire comprendre comment fonctionne le commerce. Alors, je prends les élèves et je les emmène à la boutique. Ils verront comment le boutiquier traite avec les clients. Il y a des balances, comme ça l’enfant voit et touche. L’enfant est impliqué et s’il est impliqué alors il est beaucoup plus enthousiaste. Je dois enseigner par exemple le cheval. J’envoie les enfants voir le cheval attaché derrière l’école pour leur montrer : « voilà c’est le cheval, les différentes parties de son corps, etc. ». Et là, ça va donner envie à l’enfant de sortir et ça le poussera davantage à être impliqué vis-à-vis de ce que vous faites en classe. Parce que l’enseignement ne doit pas s’arrêter à la classe, ce qu’il se passe dehors fait partie de notre vie quotidienne, de notre environnement, on est obligé de leur montrer ça.


Tu nous parlais des enfants qui étaient absents et de toi qui essayais de les faire revenir en classe ?


Comme je l’ai dit, dans un quartier populaire, on peut voir 2-3 élèves absents parfois. Si vous notez des absences répétées, vous êtes obligés de poser la question. Et là, un bon enseignant doit essayer d’enquêter, de demander aux autres enfants d’aller voir ce qui les empêche de venir, s’ils sont malades…

Car il y a des enfants comme ça : leur maman leur dit d’aller en cours mais ils vont faire un tour et c’est là que tu as une responsabilité. On est obligé de dire aux parents « votre enfant ne vient pas en classe ». Parce que par exemple, s’il lui arrive quelque chose, tu peux être en charge parce que le parent dit : « moi je l’avais laissé à l’école il n’est pas venu et tu ne l’as pas signalé ». Donc il est judicieux, après le cours, de voir les parents, d’essayer de comprendre ce qui l’a empêché de venir. Si c’est une maladie, essayer de voir les solutions possibles comme l’envoyer à l’hôpital, mais si c’est autre chose, essayer de parler avec lui.

C’est là aussi où l’enseignant a un rôle capital parce que si un enfant fuit les cours, comment faire pour le faire revenir ? Pourquoi déteste-t-il l’école ? Et pourtant c’est un enfant, il n’est pas censé détester ça car il ne connaît pas grand chose d’autre. Maintenant c’est à toi de parler avec lui. Comment faire ça ? C’est une technique … qui est propre à l’enseignant !


Parfois, les enfants peuvent être en difficulté, comment tu gères cela ?


Les enfants peuvent venir le matin sans être dans les meilleures conditions pour apprendre. Par exemple, très souvent, ça arrive qu’un enfant vienne en cours en manquant de sommeil. Maintenant, si tu es en classe et tu vois que l’élève ne suit pas, tu vas lui demander d’aller se laver le visage et de revenir. S’il ne suit toujours pas après ça, ça veut dire que le problème est plus profond que ça. Après le cours ou à la récréation tu l’interpelles « Pourquoi tu ne suis pas en classe ? Tu n’as pas bien dormi ? ». Après le cours tu peux rentrer avec lui, aller voir les parents pour leur dire « j’ai constaté que cet enfant, depuis un certain temps, ne suit plus en classe. Il dort beaucoup en cours, quel est le problème ? ». Et là, il y a des problèmes qui sont purement familiaux. On est dans une zone un peu compliquée, les familles sont concentrées dans les maisons de telle sorte que, les enfants n’ont peut-être pas les conditions réunies. Alors tu vas essayer d’apporter ta solution toi aussi, en expliquant que même si on n’a pas les conditions requises, il y a un minimum pour l’enfant, pour le préparer tout simplement à aller à l’école. Aussi, on ne peut pas forcer la main aux parents… On a juste notre mot à dire et on essaye de convaincre parce qu’encore une fois, on est que des enseignants.


Je n’arrive pas à comprendre comment vous arrivez à voir ça chez un enfant, alors que vous avez 90 élèves dans votre classe ?


Je suis formé pour ça. C’est ce qui fait le métier de l’enseignant : voir ce que l’autre ne peut pas voir. Ensuite j’ai dit quelque chose que vous sous-estimez peut-être : il faut qu’il y ait de l’amour ! Je dirais que c’est un don de dieu ! Si tu aimes les enfants, tu parviens à faire des choses qui dépassent même ce que tu pensais possible. C’est une chose qu’on ne peut pas expliquer, qu’on ne peut pas toucher… Si tu aimes les enfants, tu es obligé d’essayer de comprendre les élèves et tu apprends beaucoup de choses grâce à eux… C’est tout simplement ça.


Tu penses rester enseignant toute ta vie ?


J’aimerais continuer à être enseignant mais aussi dans d’autres stades d’enseignement. Avant d’être enseignant à l’école primaire, j’étais encadreur en histoire et géographie avec des élèves qui passaient le bac. J’envisage d’aller enseigner au niveau secondaire, pourquoi pas au lycée et enfin à l’université. Parce que c’est mon objectif: devenir un grand professeur. Surtout un professeur d’histoire, celui qui donne des conférences partout dans le monde. Il suffit d’y croire et tout est possible.

D’ailleurs j’ai ma maîtrise donc d’ici quelques années je pourrais continuer les cours à l’université, et ensuite m’inscrire au doctorat. Et pourquoi pas sortir et continuer à faire d’autres choses. Il faut être ambitieux dans la vie tout simplement, il ne faut pas se sous-estimer. On a de la connaissance, on est jeune, on a l’avenir devant nous. »

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